lundi 8 octobre 2007

Denise Masson




Née en 1901 à Paris, Denise Masson est fille unique de parents très aisés. Son père, Maurice Masson, juriste et amateur d'art, a, très tôt, constitué une remarquable collection d'art impressionniste que père et fille légueront au Musée des Beaux-arts de Lille. Dès 1911, la famille passe une partie de l'année en Algérie, dans la propriété des grands-parents maternels, en raison de la santé fragile de Denise. Elle est donc, dès le plus jeune âge, familière et imprégnée de la culture maghrébine et musulmane.
Elle reçoit, surtout à la maison, une éducation de jeune fille bourgeoise: études classiques, latin et musique, jusqu'au brevet supérieur.
En 1925, ses parents se séparent, puis divorceront, situation dont Denise souffrira toute sa vie.
C'est à cette époque, dans les années vingt, que Denise, catholique très croyante, essaie la vie de couvent, mais Denise de la Trinité redevient Denise Masson et décide de devenir infirmière.
Idéaliste comme beaucoup de jeunes françaises catholiques de la bourgeoisie de l'époque, et toujours attachée au Maghreb, elle partage les idées du catholicisme social et de la bienfaisance pratiquées par des ordres tels que les Pères Blancs, les Frères de Foucault ou les Petits Frères de Jésus.
Elle vit une première expérience d'infirmière à Tunis et, après plus ample formation à Paris, elle s'installe, en 1929, au Maroc, alors sous protectorat français. Adhérant aux idées du premier Résident général Lyautey, elle croit en la mission civilisatrice du protectorat, mais aussi au respect et au maintien de la « marocanité » et à un futur état indépendant. Elle défendra l'utilité et les mérites du protectorat « lyautien » jusqu'à la fin de sa vie, tout en critiquant les erreurs commises par le « troupeau des énergumènes colonialistes » qui parvinrent à faire rappeler Lyautey par le gouvernement français. Selon elle, la France,
Avec le départ de Lyautey, a trahi l'esprit et la lettre du protectorat.
Elle commence à travailler en tant qu'infirmière au dispensaire antituberculeux de Rabat. Très vite pourtant, elle se distingue de ses compatriotes par son intérêt profond pour l'Islam et les Musulmans. Cet intérêt peut s'expliquer justement par son respect de la marocanité et donc aussi de la religion des Marocains, ou bien y cherchait-elle une intensité de foi, traditionnelle et conservatrice, qu'elle ne trouvait plus dans le christianisme. Elle se lance également dans l'apprentissage de l'arabe classique et dialectal - écrit plutôt que parlé - à l'Institut des Hautes Etudes.
En 1930, elle devient directrice du dispensaire antituberculeux dans la médina de Marrakech.
Elle cesse de travailler comme infirmière en 1932, ce qui lui est possible grâce à la fortune familiale, et elle se consacre, de plus en plus, à des études destinées à démontrer les points communs et les divergences des trois grandes religions monothéistes - le christianisme, l'islam, le judaïsme - sans jamais recourir au syncrétisme.
En 1938, elle s'installe à Marrakech, Derb Zemrane, dans le Riad qui porte aujourd'hui son nom et qu'elle ne quittera plus jusqu'à sa mort.
Offert par ses parents, comme ses appartements de Paris et de Villefranche-sur-Mer où elle passe l'été, ce Riad devient sa « tour d'ivoire » et lui permet de vivre sa vie « d'excentrique », comme elle se proclame, au sens propre du terme, de solitaire travailleuse avec peu d'amis et de contacts en dehors de son travail.
En effet, enracinée dans son identité de française chrétienne, avec un penchant pour l'aile conservatrice de l'église catholique, elle reste à l'écart de la plupart de ses compatriotes qu'elle trouve « pas fréquentables » et « mal élevés », et en même temps de la culture marocaine et de l'Islam, qu'elle étudie, admire, et critique, en observatrice.
En 1939, son père et sa deuxième femme la rejoignent à Marrakech où son père décède en 1947.
Son parcours littéraire :
Pendant la Deuxième Guerre mondiale elle reste au Maroc mais prend ses distances avec ses compatriotes et ses co-religionnaires ; partisans de la collaboration et du maréchal Pétain. Selon une rumeur, elle aurait été fichée au consulat de Marrakech.
Dès 1940, elle se lance dans un projet de formation adéquate (« islamo-marocaine ») d'assistantes sociales pour l'Afrique du Nord, sous l'égide de Lucien Paye, à l'époque directeur de l'enseignement musulman au Maroc. A partir de 1944, attachée à l'Instruction publique du gouvernement provisoire d'Alger, elle prévoit, en fait, un service social favorisant l'adaptation des Marocains à une civilisation moderne, à l'aide d'assistantes sociales connaissant parfaitement la culture et les mœurs marocaines, et surtout l'arabe. Mais elle démissionne en 1947, déçue qu'on ne suive pas ses conseils, surtout en matière de l'apprentissage de l'arabe, et soupçonnant l'appareil colonialiste de ne pas vraiment vouloir l'émancipation du Maroc et de la femme musulmane.
En effet, elle est, par principe, pour l'indépendance du Maroc et soutient les « légitimes revendications » des Marocains. Pourtant, l'indépendance décevra ses espoirs.
Elle reprend ses études après l'échec du projet de service social, influencée surtout par le grand orientaliste Louis Massignon (« le maître » comme l'appelait Denise Masson qui l'avait rencontré en 1932), par le théologien chrétien Louis Gardet et par le mouvement d'orientalisme catholique et de réflexion chrétienne sur l'Islam pratiqué au Maghreb. En 1958, elle publie Le Coran et la Révélation judéo-chrétienne aux éditions Adrien Maisonneuve.
Ayant commencé, pour ses études portant sur les points de contacts entre les trois religions monothéistes, à traduire elle-même des extraits du Coran, elle décide de le traduire en entier, et en 1967, sa traduction - dans la mesure où l'on peut parler de traduction du Coran, qui est, pour les Musulmans, la transcription de la parole de Dieu - paraît chez Gallimard dans la Bibliothèque de la Pléiade. Bien que Denise Masson se soit fortement appuyée sur des traductions déjà existantes, par exemple celle de Régis Blachère, c'est elle qui produit le texte français le plus lisible. Sa traduction reste, jusqu'à ce jour, la plus vendue et une des plus recommandées, surtout en raison de son style fluide et concis et de sa véritable qualité littéraire. C'est sans doute son plus grand accomplissement d'avoir rendu le Coran plus accessible pour le lecteur français.
Dans sa préface de cette traduction, Jean Grosjean écrit : « Le texte coranique est un sacrement : il apporte la grâce de le croire. Sa naissance fut miracle. Est-ce qu'un traducteur peut faire un miracle ? Il peut, du moins, à force de respect pour ce texte, en livrer le reflet. Denise Masson l'a humblement et patiemment essayé et arrive par une sorte d'ascèse, à rendre contagieux le mouvement du langage. »
En 1976 paraît Monothéisme coranique et Monothéisme Biblique, en 1983, Les Trois Voies de l’Unique, en 1986, L'eau, le feu, la lumière, et en 1989, son ouvrage semi-autobiographique Porte Ouverte sur un Jardin Fermé (tous aux éditions Desclée de Brouwer)
Elle décède en 1994 à Marrakech.
Denise Masson était une femme solitaire et déterminée ; un esprit original et une grande travailleuse. Ni universitaire, ni prosélyte, cette chrétienne en terre d'Islam a dédié sa vie à ses études religieuses comparées et à la « compréhension fraternelle » entre religions monothéistes. Ascétique avec des goûts de luxe, dure et affectueuse, ses contradictions en font sa singularité.
Le Riad
L'ancien Riad el Hafdi (Hafdi étant le nom de l'ancien propriétaire, « celui qui garde le Coran en entier dans son cœur ») du 19ème siècle, se trouve près de Bab Doukkala. Derrière un traditionnel portail en bois clouté, et, passé le réduit qui sert encore de garage à l'antique bicyclette de Denise Masson, le Riad s'organise autour d'un vaste jardin traditionnel avec bassin central. D'un côté, se trouve le bâtiment habité par Denise Masson, avec un salon au plafond de cèdre sculpté et un orgue qu'elle fit venir de France, une cuisine, une salle de bain et surtout, à l'étage, la grande bibliothèque que Denise Masson fit construire. A la fois salle de travail, chambre et salon, c'est là qu'elle passa le plus clair de son temps, et où, surtout, elle travaillait, assise sur son lit, une tablette sur les genoux.
Elle possédait environ 3000 ouvrages, dont une infime partie seulement reste aujourd'hui dans les lieux, la Bibliothèque de La Source, à Rabat, ayant accueilli le gros des ouvrages sur la religion et sur le Maghreb. De la bibliothèque, on accède à une terrasse avec vue magnifique sur l'Atlas. De l'autre côté du jardin, se trouvent les logements pour les résidents de l'Institut français ainsi que la piscine de Denise Masson, nageuse passionnée, qui ironisait : « Je suis une de ces horribles colonialistes à piscine et à orgue ».

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